Zeiss 35 Distagon T* 2/35, premières impressions

Zeiss…

Voilà un nom qui tout de suite m’évoque une certaine idée de la photographie, époque devenue marginale où les photos avaient une odeur, celles des pellicules et des labos.
Mais ce billet n’a pas pour but de me replonger dans une sorte de nostalgie de l’argentique.
Je suis depuis quelques années passé au numérique, et si de temps à autre j’éprouve cette envie de ressortir mes appareils argentiques moyen format, quand je songe à tout ce qui m’attends par la suite (suite d’autant plus compliquée que je n’ai plus de labo pro pour développer mes films dans la région), je renonce. Je renonce un peu par fainéantise, mais surtout parce que je n’ai plus la certitude que de travailler en argentique aura une réelle plus value.
Je dois aussi reconnaitre que je ne trouve pas grand-chose à redire sur la qualité des appareils numériques actuels, et puis j’ai travaillé avec des films pendant presque 20 ans, je n’ai pas cette impression d’exotisme que peuvent avoir les jeunes générations.
Rouler une pellicule, développer, tirer, dépétouiller au gris film, tenter des traitements croisés, virer à l’or ou au sélénium, faire des tirages alternatifs en papier ciré, gomme bichromatée, cyanotype et autres transferts sur plaques offset, c’est fait (et à partir de fichiers numériques, une bonne partie des traitements alternatifs sont toujours possibles, voire même plus simples).

En fait, avec le temps, je me rends compte que la seule chose qui me manque vraiment, c’est une belle visée calme sur un dépoli, une visée qui n’incite pas à cadrer comme on tire au fusil, mais une visée qui transporte l’oeil au-delà des colimatés et autres indications électroniques du viseur.

Mamiya C220 pro, le viseur

Le viseur de mon 6x6 avec un verre quadrillé à la pointe sèche

Alors que j’étais à deux clics d’acheter un 70-200 stabilisé top moumoute, dans ce petit stress qui précède chez moi la validation d’un achat important, j’ai pris conscience que bien qu’utile, c’était un objectif qui ne m’était pas nécessaire. Super rapide et super stable super etc., mais il n’était pas la réponse à ce que je recherchais. C’est alors que telle Bernadette dans sa grotte, j’ai eu mon illumination, une focale fixe, à mise au point manuelle.

L’avantage avec ce type d’optique, c’est qu’on ne croule pas sous les références et c’est tout naturellement que je me suis intéressé aux optiques Zeiss. La lecture du billet du photographe Joseph Melin a été par ailleurs très instructive, je vous invite à le lire, ça m’évitera de faire des redites techniques.
Jean-Christophe a lui aussi testé une optique Zeiss 85mm à mise au point manuelle, hop, un petit lien histoire de croiser ses impressions avec les miennes.

Travaillant avec un Canon 7D, je voulais une optique qui me pousse de nouveau à marcher pour cadrer, une optique qui n’hésite pas à trancher dans mon environnement. À de nombreuses reprises par le passé j’avais travaillé avec une seule optique sur mon appareil, un 80 mm pour mon 6×6, un 60 pour mon 4.5×6.
Pendant toute l’année 1999, je m’étais fixé comme objectif de réaliser et tirer une photo par jour, avec comme unique appareil un Rollei 35 et son objectif de 40mm ; plus récemment en 2007, j’avais parcouru l’Afrique du Sud avec pour seul appareil un Minolta X700 et un 50mm f2.

Photo en Afrique du Sud, Montagu

Ville de Montagu, Afrique du Sud - Minolta X700 - 50mm f2

Je crois que j’aime cette ascèse, je voulais la retrouver.
En tenant compte du facteur de multiplication du à la taille du capteur (1.6 dans le cas du 7D), il me fallait une optique 30/32 mm. Le 35 mm proposé par Zeiss est un chouia plus long, mais il pouvait convenir.

J’en ai fait l’acquisition juste avant de partir en vacances.
Première impression, c’est une optique pas vraiment courte (96mm) et assez lourde (560 gr), mais cette densité confère une grande confiance dans sa construction. Selon Steve Huff la fabrication Zeiss ne serait encore au niveau d’une optique Leica, mais c’est quand même le haut du haut du panier (il a testé un objectif Zeiss Biogon).
Tout est assemblé avec soin, contrôlé individuellement avec un petit certificat précisant le nom du contrôleur, et garantie 3 ans (2 ans de base plus un an si enregistrement sur le site de Zeiss).
Pas de tout petit jeu de rien du tout, pas de mollesse ou de point dur sur le mouvement de la bague de mise au point, elle tourne avec un velouté et une homogénéité très agréables.
L’optique est livrée avec ses deux bouchons et un pare-soleil métallique que je me suis empressé de « gaffer ».

Objectif Zeiss Distagon T* 35mm f2 pour Canon

L'objectif posé sur le pare-soleil gaffé. Attention, c'est le filtre qui est made in Germany, l'optique est made in Japan.

J’ai l’habitude de poser mon matériel partout, sans trop me préoccuper de la nature du support du moment que j’ai la certitude que mon appareil ne glissera pas (merci Canon pour la petite zone caoutchoutée autour du pas de vis pour retenir mon appareil sur les surfaces lisses), c’est pourquoi les zones de « contact » du boitier et des pare-soleils sont intégralement protégées derrières ce ruban adhésif si cher aux photographes et aux intermittents du spectacle.
Pas de petite housse, étui, ou autre pochon pour ranger l’objectif, une petite attention de Mr Zeiss que j’aurai bien aimé, plus pour la symbolique que la réelle utilité, car j’ai toujours de quoi ranger proprement mon matériel sur moi.
Afin de protéger la lentille frontale de l’objectif, j’ai choisi d’ajouter un filtre Héliopan dont la réputation n’est plus à faire. Il faut bien penser que tout objectif à la qualité de son élément le plus faible, alors autant ne pas mégoter ! J’ai choisi la référence SH-PMC, filtre traité 8 couches sur deux faces avec une transmission de la lumière de 99,8 %.
Une fois l’ensemble monté sur l’appareil, quel plaisir de revoir le monde se révéler lentement à nos yeux à mesure qu’on effectue la mise au point ! J’avais un peu oublié ce petit plaisir tellement lié à la visée capuchon de mon moyen format, le beau et lumineux viseur du 7D m’a de suite replongé dedans .

Mais passé ces premières impressions… concrètement… cela en valait-il la peine de priver mes enfants de Mac Vities choco caramel pour 8 générations ?
Pour m’en rendre compte, je décidais de partir en vacances en tentant le plus possible de n’utiliser que cette optique.
Les vacances sont pour moi un bon moyen de tester du matériel, car sur une (toujours trop) brève période on fait face à une très grande variété de sujets, architecture, portrait, sports, etc. et ça me pousse à utiliser mon matériel photographique avec beaucoup de polyvalence. Ces moments d’expérimentations sont toujours utiles et réinvestis par la suite dans la réalisation de mes commandes.
Je pense avoir remplis le contrat, en examinant les données des mes images dans Lightroom, sur 2228 Raw, 96 furent réalisés avec une autre focale.
Mais que valaient les 2132 restantes ?
537 n’ont pas survécu au premier tri, soit, car vraiment inintéressantes ou alors parce que la mise au point était totalement ratée, gasp, ¼ quand même !

Car réussir sa mise au point devient un enjeu supplémentaire, et si l’appareil indique via ses colimatés les zones supposées nettes, ces indications ne sont pas assez précises à grande ouverture.
Il faut donc réapprendre à fouiller son image dans le viseur, à détecter le moment où la netteté jaillie.
Je ne suis rendu compte sur mon appareil qu’à ce moment fugace, le dépoli de mon viseur se mettait à frisoter, comme des micro fourmillements, il faudrait croiser cette « découverte » avec d’autres photographes pour voir s’ils ont eu aussi ce petit effet.

En cas de prise de vues sur pied, le calage de la mise au point en live view avec les possibilités de zoomer dans l’image sont imparables, mais alors on se retrouve à regarder un écran, c’est moins agréable, mais plus rassurant.

Sur la qualité des images, je dois reconnaitre que j’ai été satisfait bien au-delà de mes espérances !

Jour de marché à Obernai

Jour de maché à Obernai, Alsace - Zeiss 35 t* 35mm - 1/1000 sec - f4 - 200 iso

J’ai cette drôle d’impression que l’objectif ajoute de lumière à mes images. Il y a une brillance, un micro contraste auquel je n’étais alors pas habitué. Je n’ai pas testé un grand nombre d’optiques sur mon Canon, mais celle-ci « ajoute » quelque chose que je n’avais pas vu jusqu’à présent.
Sous un ciel voilé, dans des conditions pas idéales, les images ont malgré tout une lumière, une richesse étonnante.

Capucine sort de l'auberge de jeunesse des Rousses - Zeiss T* 35 f2 - 1/1250 sec - f4 - 200 iso

Concernant son piqué, pour la première fois, j’ai ce sentiment que la limite ne se trouve pas dans la qualité de l’objectif, mais dans les capacités offertes par le capteur et la compétence du photographe.
Dès la pleine ouverture, c’est extrêmement fin. Compte tenu de l’investissement, c’est rassurant de penser que l’objectif survivra à quelques-unes des nouvelles générations d’appareil.

Premier test de l'objectif en condition de studio - Zeiss T*35 f2 - 1/160 sec - f2,5 - 200 iso

Détail

Détail à 100 %, avec une MAP très légèrement devant l'oeil, flute ! À grande ouverture la précision est de mise ! - Zeiss T*35 f2 - 1/160 sec - f2,5 - 200 iso

Place handicapée à Sion

Gare de Sion, Valais, Suisse - Zeiss T*35 f2 - 1/400 sec - f6.3 - 200 iso

Détail à 100 % - Zeiss T*35 f2 - 1/400 sec - f6.3 - 200 iso

Feuilles de vigne et mouche

Feuille de vigne en contre-jour - Zeiss T*35 f2 - 1/1600 sec - f4 - 200 iso

Détail à 100% - Zeiss T*35 f2 - 1/1600 sec - f4 - 200 iso

Dans Lightroom, l’objectif a son petit profil pour corriger ses défauts, comme un très léger vignettage sur le 7D, il serait un peu plus important sur un full frame.

Démonstration du vignettage

Correction du vignettage avec le profil de l'objectif via Lightroom 3 - Zeiss T*35 f2 - 1/2000 sec - f 2.5 - 200 iso

En cas de fort contraste et / ou contrejour des aberrations chromatiques peuvent apparaitre. Cas unique sur ma série de photos, celle-ci présente une trace fantomatique d’une ampoule inversée.

Château du Haut Koenigsbourg, Alsace

Salle de reception du Château du Haut Koenigsbourg, Alsace - Zeiss T*35 f2 - 1/400 sec - f 2.8 - 6400 iso

Dans de rares conditions de fort contre jour, des aberrations chromatiques apparaissent - Zeiss T*35 f2 - 1/400 sec - f 2.8 - 6400 iso quand même !

Trace fantôme d'une ampoule inversée, je n'ai pas vu cet effet sur mes autres images - Zeiss T*35 f2 - 1/400 sec - f 2.8 - 6400 iso quand même !

Bien évidement, avec son ouverture à f2, les possibilités offertes par la faible profondeur de champ sont intéressantes, mais je ne suis pas un acharné du boÔokèeh, enfin du flou d’arrière-plan… (Halala, depuis que les petits jeunes l’on découvert sur Wikipédia, on le trouve à longueur de tests et commentaires).
La grande ouverture permet de mieux isoler un sujet, de masquer un arrière-plan pas toujours idéal ou pour uniformiser un fond coloré lors d’un portrait, mais à utiliser avec parcimonie, surtout en portrait serré ou tout excès (me) donne cette impression que le sujet a été photographié alors qu’il est en train de se noyer dans sa baignoire.

D’une manière générale, j’utilise cette optique à f4, mais en cas de faible luminosité, ouvrir sans renoncer à la qualité, c’est quand même bien pratique !

Grotte de Vallorbe

Grotte de Vallorbe - Zeiss T*35 f2 - 1/60 sec - f 2.5 - 6400 iso

Alors, comme petit bilan, c’est une optique que je conseille à ceux qui veulent un peu freiner et qui sont prêts à accepter que des photos puissent être ratées, floues à cause du photographe et de lui seul. Ne pas chercher une quelconque excuse dans une hypothétique défaillance d’une technologie moderne c’est aussi une démarche que je trouve honorable !

Camping de Sion, fête nationale Suisse

Camping de Sion, fête nationale Suisse - Zeiss T*35 f2 - 1/50 sec - f2 - 1600 iso